Le 10 septembre 1973, Mohammed Ali affrontait pour la seconde fois le redoutable Ken Norton, un peu plus de 5 mois après sa défaite face à ce dernier lors de leur premier duel.
Retour sur l’un des combats les plus importants dans la carrière du Boxeur Poète.
Contexte
Ali s’apprête, ce soir de lundi 10 septembre 1973, à disputer un match à quitte ou double : s’il gagne, Ali s’offre la rédemption et le retour au premier plan ; s’il perd de nouveau, c’en est alors fini de la glorieuse carrière de l’ancien champion incontesté des poids lourds.
Depuis son retour sur le ring en octobre 1970, 3 ans après en avoir été banni suite à son refus de rejoindre l’armée américaine et de servir au Vietnam, le natif de Louisville traverse une période délicate.
Après quelques victoires lors de son retour face aux solides Jerry Quarry & Oscar Bonavena, Ali subit en mars 1971 sa première défaite en professionnel face à son rival historique Joe Frazier dans le Combat du Siècle.
Une défaite tout sauf infâmante, Ali n’ayant perdu qu’aux points et n’ayant pas encore recouvré une condition physique optimale suite à sa longue absence hors des rings. Le Boxeur Poète promet d’ailleurs de vite revenir à son meilleur niveau afin de prendre sa revanche sur Frazier, et récupérer par la même occasion son titre de champion.
Ali joint les actes à la parole et se reprend en enchainant 6 victoires pour la seule année 1972. Désormais, il ne lui faut plus qu’affronter Ken Norton : un combat à priori assez aisé pour un Mohammed Ali largement favori.
Ali vs Norton I : Et la mâchoire d’Ali se brisa
Le 31 mars 1973, rien ne se passe comme prévu pour ‘Louisville Lip’ -l’un des surnoms d’Ali- qui perd le combat aux points, une fois de plus.
Cette défaite inattendue est toutefois bien plus difficile à encaisser pour un Mohammed Ali qui voit sa mâchoire brisée au cours du combat, lui qui a commis l’erreur fatale de sous-estimer son adversaire, se voyant déjà au combat d’après face à Frazier et que toute l’Amérique attend.

Surtout, cette défaite semble sonner le glas des ambitions de reconquête du titre de l’ancien champion déchu. Des langues se délient : Ali a-t-il vraiment la capacité de revenir au sommet ? Le moment de se retirer n’est-il finalement pas arrivé pour le Boxeur Poète, dont l’âge d’or semble passé, lui qui aura été injustement privé -de ses 25 à ses 29 ans- de défendre sa ceinture ? Ali lui-même l’envisage, lui qui, à 31 ans, peine à retrouver sa condition physique d’antan.
La Légende du Noble Art finit toutefois par se ressaisir, et Ali de se lancer dans une quête aussi improbable que mythique.
La ‘Lèvre de Louisville’ se met en tête de prendre sa revanche le plus rapidement possible face à Norton, puis de prendre dans la foulée sa revanche sur Joe Frazier avant de s’attaquer au terrible George Foreman, le nouveau champion invaincu des poids lourds qui vient de terrasser Frazier en lui infligeant 6 knockdowns, un petit mois seulement après la défaite d’Ali face à Norton.
Mohammed Ali vs Ken Norton 2 – Ou Ali face à Ali
En somme, le projet d’Ali n’est autre que de vaincre, l’un après l’autre, les 3 meilleurs boxeurs poids lourds de la décennie 70-80, et retrouver ainsi son titre de champion. C’est ainsi qu’Ali commence par une revanche face à Norton… et face à lui-même.

Pour ce combat de la dernière chance, Ali sait qu’il ne réussira à vaincre le très talentueux Norton qu’en retrouvant une condition physique optimale.
L’heure est grave, mais Mohammed Ali a à cœur de montrer que l’heure de la retraite est loin d’avoir sonnée. Surtout, le Boxeur Poète -dont la mâchoire a bien guéri entre temps- a à cœur de se racheter auprès de lui-même, coupable d’avoir négligé ses précédentes préparations d’avant match.
L’ Âme du Papillon
“J’aimerais que l’on se souvienne de moi comme d’un homme qui remporta trois fois le titre de champion du monde des poids lourds, qui avait de l’humour et qui se comportait bien avec tout le monde. Comme un homme qui n hésita jamais à se battre pour ses croyances. Comme un homme qui essaya de réunir l’humanité tout entière autour des valeurs de la foi et de l’amour.
Mais si c’est trop demander, alors j’aimerais simplement qu’on se souvienne de moi comme d’un grand boxeur qui devint un leader et un défenseur de son peuple.” Muhammad Ali
Il n’y aura, cette fois-ci, pas de Mohammed Ali showman avant le match. Depuis son retour sur les rings, jamais Ali ne se sera aussi durement entrainé et n’aura autant fait souffrir son corps, dans une nécessaire quête de retrouver le physique qui lui permettra à nouveau de voler comme le papillon et de piquer comme l’abeille.
Exit les interviews spectacles avant le combat et les préparations paresseuses. Cette fois, c’est dans le silence le plus complet et auprès de ses entraineurs qu’Ali se prépare. Courir, couper du bois, courir… et recommencer.

Le soir du 10 septembre 1973, lorsque son entraineur Angelo Dundee lui retire sa robe satin, le public découvre un Mohammed Ali amaigri de près de 5 kg par rapport au premier affrontement 5 mois plus tôt, prêt à en découdre.
L’Heure de la Revanche
Bien qu’affuté comme à ses plus belles heures, Ali sait que le combat sera âpre et disputé. Son adversaire, ancien marine au physique sculpté, est bien déterminé à mettre un terme à la carrière de celui qui aura choqué le monde 9 ans plus tôt en étalant le terrifiant Sonny Liston.
Comme lors du premier duel, le combat va jusqu’à son terme, les 2 poids lourds ayant jeté toutes leurs forces dans la bataille.
Si Ali domine assez clairement les 3 premiers rounds, se permettant même de rester debout entre chacun des rounds afin de prouver sa détermination, Norton revient progressivement dans le match dès le quatrième round. Si le virtuose Ali brille par sa technique, le téméraire Norton brille lui par la puissance des coups qu’il délivre.
Au 7ème round, Norton délivre une puissante droite dans la mâchoire du Boxeur Poète, la même mâchoire fracturée 5 mois plus tôt, et le spectre du 1er match commence à faire surface. Ali résiste, et les deux hommes se rendent coups pour coups les rounds suivants. Norton maintient toutefois la pression ; le 11ème round sera son meilleur.
L’ Insoumis – L’Amérique de Mohamed Ali
[…] Je me suis mise en quête de témoins directs et nous sommes partis sur les routes américaines à la rencontre d’un journaliste sportif du New York Times en retraite, d’un Imam d’Indianapolis, […] du vieux Captain Sam qui l’entraîna tout jeune à la mosquée de Miami […]
Leur voix sont puissantes, […] elles souffrent encore de la mort de Malcolm X, reviennent au fondement de la foi musulmane chez une partie des Noirs Américains, […] puis comment l’amnésique Amérique se mit à l’aimer, malade et condamné au silence. […]
Les deux boxeurs sont alors au coude à coude, et la décision peut aller à l’un comme à l’autre. Le 12ème et dernier round fera probablement office de juge de paix : celui qui le remporte devrait sans doute remporter le combat.
C’est finalement Louisville Lip, récompensé de son intensif entrainement et de ses immenses efforts, qui prend ce dernier round. Ali étonne et détonne, se permettant quelques pas de danse après 11 rounds d’une rare intensité. Malgré quelques puissants coups bien sentis, Norton recule devant les frappes répétées de l’ancien champion au mental d’acier.
Victoire
À l’issue d’un combat dantesque, Ali, est déclaré vainqueur par décision partagée, 2 juges lui donnant le combat contre 1 en faveur de Norton.

Soulagé, le Boxeur Poète ne peut toutefois cacher une certaine déception. Ali accepte les félicitations des siens, mais ne prend pas la peine de masquer ses sentiments mitigés.
Sans doute est-il conscient que, peu importe les lourds efforts qu’il consentira effectuer à l’entrainement, il ne retrouvera plus jamais sa boxe d’antan, mélange unique d’insaisissabilité, de vitesse et de coups de poing tranchants.
Exténué, Ali force le sourire en interview d’après-combat. “Je suis en bon état… mais plus fatigué que d’habitude”. Il ajoute “si je n’étais pas dans cette forme, je n’aurais pas pu gagner”. Ali poursuit et désigne Norton comme “le meilleur au monde après moi”. Il déclare plus tard que, Joe Frazier mis à part, Norton est le meilleur combattant de tous ceux affrontés auparavant.

Ali vient de remporter l’un des combats les plus décisifs de sa vie. Le plus dur reste toutefois à venir, la prochaine revanche n’étant autre que face à son nemesis, le foudroyant ‘Smokin’ Joe Frazier.