Ali vs Liston 1 : Naissance d’une Légende

Le 25 février 1964, à Miami, Muhammad Ali -encore Cassius Clay- terrassait à la stupeur générale le terrifiant Sonny Liston, remportant son premier championnat du monde poids lourds.

Retour sur un affrontement ayant marqué à jamais l’Histoire du Noble Art.

SONNY LISTON, TERREUR SUR ET EN DEHORS DU RING

38 centimètres. Soit la circonférence d’un poing de Charles ‘Sonny’ Liston. Pour pouvoir boxer, le “Big Bear” doit porter des gants créés sur mesure. Le boxeur, originaire de l’Arkansas, est l’une de ces forces de la nature qu’il vaut mieux éviter d’embêter, sur le ring comme en dehors.

Ali vs Liston 1
Le jeune Cassius Clay, face à Sonny Liston

Le boxeur, qui grandit dans des conditions dramatiques avec ses 25 frères et sœurs et un père violent, possède un casier judiciaire long comme le bras, la faute à ses connexions avec le crime organisé. Sur son casier judiciaire, rien ne manque, exceptée la case meurtre. Pour le reste, lorsqu’il travaille pour le compte de la pègre de Saint Louis, le jeune Liston participe à tous types de méfaits : enlèvements, extorsions, passages à tabac, braquages… C’est d’ailleurs derrière les barreaux que Liston va découvrir ses grands talents de boxe, au début des années 50.

Sur le ring, Sonny Liston se fait rapidement un nom en terrassant d’autres grands noms de l’époque à la fin des années 50 et au début des années 60, tels que Cleveland Williams, Zora Folley ou encore Eddie Machen. Ayant retardé au maximum l’affrontement avec le “Gros Ours”, le jeune et brillant champion Floyd Patterson ne peut plus retarder l’échéance et n’a d’autre choix que d’affronter Liston, le 25 septembre 1962, à Chicago.

Sonny Liston profite alors de l’évènement pour envoyer un message terrifiant à la catégorie poids lourds : “The Big Bear” détruit le pourtant très doué Floyd Patterson dès le premier round, le mettant KO après seulement 2 minutes et 6 secondes de combat. Jamais un tenant du titre n’avait été battu de façon aussi expéditive. 10 mois plus tard, à Las Vegas, la revanche est organisée. Floyd Patterson fait cette fois meilleure impression… en résistant 4 secondes de plus, soit 2 minutes et 10 secondes, avant d’être une nouvelle fois mis KO au premier round.

Ali Liston Patterson
Floyd Patterson & Sonny Liston

Liston est alors à son apogée, bien que très impopulaire auprès de la presse et du grand public, la faute à sa sulfureuse réputation hors du ring. Aucun adversaire ne souhaite combattre “Le Gros Ours”, tous intimidés par le passé du boxeur et ses liens avec les milieux mafieux, et tous épouvantés à l’idée de recevoir dans le visage les énormes poings de l’un des plus grands puncheurs de l’histoire du Noble Art.

Tous, excepté un jeune boxeur de 22 ans originaire de Louisville, qui dit voler comme un papillon, et piquer comme une abeille.

VOLE COMME UN PAPILLON, PIQUE COMME UNE ABEILLE

Le jeune Cassius Marcellus Clay, champion olympique en 1960 à Rome, ne semble en effet guère impressionné par le colosse Liston. Fort de sa série de 19 victoires en 19 combats professionnels, Clay ne cesse de réclamer le combat et va introduire une grande nouveauté dans l’histoire de la boxe : le trash-talking, qu’il ne cessera d’utiliser tout au long de sa glorieuse carrière et qui consiste à moquer et ridiculiser verbalement l’adversaire avant le combat afin de tenter de le déstabiliser “en entrant dans sa tête”.

Le combat est alors fixé à la date du 25 février 1964, à Miami. Pendant plusieurs semaines et jusqu’au jour-même du combat, le jeune challenger va alors constamment provoquer verbalement le champion incontesté. Cassius Clay enchaine les piques et les tentatives de déstabilisation envers Sonny Liston, tournant en dérision le surnom de ce dernier et assénant que Liston est “un vilain ours”. “Il sent comme un ours” dont il “fera don au zoo local” une fois qu’il l’aura vaincu. Louisville Lip -la lèvre de Louisville- s’amusera par ailleurs à moquer le physique du Big Bear et déclare par exemple que :

Il (Sonny Liston) est trop laid pour être champion du monde. Le champion du monde doit être beau comme moi!

Le natif de Louisville ne se contente toutefois pas de phrases toutes faites et s’évertue à combiner trash-talking, humour et sens de la rime ; un cocktail détonant qui le propulsera rapidement au rang de superstar médiatique. Ainsi, avant le combat, le boxeur poète clame par exemple :

If you like to lose your money, be a fool and bet on Sonny.

Si vous aimez perdre votre argent, alors soyez idiot et pariez sur Sonny.

Sonny Liston will fall in eight, to prove that I am great.

Sonny Liston tombera au huitième (round), pour prouver que je suis génial.

Liston lui-même se montre amusé par le phrasé et l’énergie de son jeune challenger que personne ne prend au sérieux et auquel tout le monde prédit une cuisante défaite face au champion. La presse et le public ont en effet choisi leur camp : chose rare, une grande partie de la population américaine supporte Liston, espérant alors que le champion corrige ce jeune boxeur zélé. Rarement un combat de boxe aura été aussi attendu entre 2 combattants aussi impopulaires.

Dans les colonnes du Los Angeles Times, le journaliste Jim Murray écrit ainsi que “la seule chose à laquelle Clay peut battre Liston est la lecture du dictionnaire”, Liston étant illettré… Ce à quoi il ajoute que Liston-Clay est “le combat le plus populaire depuis Hitler – Staline. Là encore, 180 millions d’Américains espèrent un double KO.”.

Liston-Clay est le combat le plus populaire depuis Hitler-Staline. Là encore, 180 millions d’Américains espèrent un double KO.

Jim Murray dans le Los Angeles Times

Pour le combat, Sonny Liston est ultra-favori avec une cote de 8 contre 1. La presse sportive consacre déjà le Big Bear, qui ne devrait faire qu’une bouchée du jeune Clay. Les pronostics les plus mesurés ne donnent guère plus de 3 rounds au boxeur poète, et pour cause : Clay ne possède pas un très grand ‘knockout power’ et ses 2 derniers combats n’ont guère impressionné, tandis que Liston est à son apogée et vient d’infliger 2 KO aussi brutaux qu’expéditifs à l’ancien champion Floyd Patterson.

Et pourtant.

I SHOOK UP THE WORLD ! I SHOOK UP THE WORLD !

À force de répéter pendant des semaines et des semaines qu’il va ridiculiser Liston, Clay est entré dans la tête de son adversaire, qui a fini par croire que son opposant était réellement fou et capable de tous les outrages pour parvenir à ses fins.

Comme lors de la pesée où Clay entre littéralement en transe et paraît totalement incontrôlable. “Liston n’a pas peur de moi mais il a peur d’un cinglé”, jubile-t-il. Quelques jours auparavant, Cassius Clay va même poursuivre son trash-talking jusque dans la salle d’entrainement d’un Sonny Liston qui, irrité, tente d’atteindre Clay, avant que les personnes présentes dans la salle n’interviennent et ne séparent les deux hommes.

Le 25 février 1964, le challenger allie la parole à l’acte et ridiculise le champion. Le monde prend alors conscience que Cassius Marcellus Clay n’est pas qu’un beau parleur : le boxeur poète est avant toute chose un virtuose du Noble Art. Ses déplacements sont légers et gracieux, et ses esquives rendent impuissant un Sonny Liston qui s’époumone à frapper dans le vide durant les 3 premiers rounds, incapable de toucher son adversaire qui semble flotter comme un papillon sur le ring.

Float like a butterfly, Sting like a bee !

Flotte comme un papillon, pique comme une abeille !

Pire, durant les 3 premiers rounds, Liston reçoit plusieurs coups au visage de la part du papillon, qui semble piquer comme une abeille à chacune de ses frappes. Ouvert au visage pour la première fois de sa carrière, Liston se voit appliquer une crème cicatrisante avant le début de la 4ème reprise. Lors du 4eme round, après un énième coup porté au visage de Liston, la vision de Clay est touchée : ses yeux brûlent et Clay résiste tant bien que mal aux assauts de Liston qui en profite pour se rebiffer dans les 4eme et 5eme rounds.

La douleur finit cependant par disparaitre, et le jeune Clay fait pleuvoir les coups sur un Liston surclassé. Le visage marqué, Sonny Liston ne se lèvera pas de son tabouret pour la 7ème reprise, prétextant une blessure à l’épaule. Sans doute “à force de frapper dans le vide” selon un Cassius Clay un brin ironique.

Sonny Liston ne se relève pas, au début du 7ème round.

Qu’importe, le boxeur poète exulte et hurle en boucle “I shook up the world ! J’ai secoué le monde !”, euphorique. Clay vient en effet de choquer le monde et de retourner toute une salle qui lui prédisait une boucherie et une cuisante défaite face au Big Bear.

Toute une salle, à l’exception d’un spectateur assis au premier rang et proche du boxeur, en la personne de Malcolm X. C’est en compagnie de Malcolm, d’ailleurs, ainsi que de son frère Rudolph, que le jeune Clay fête sa victoire.

Cassius Clay, Malcolm X & Rudolph Clay

CASSIUS CLAY DEVIENT MUHAMMAD ALI

Les Etats-Unis l’ignorent, mais le jeune Cassius Clay, proche ami de Malcolm X après avoir assisté à l’un de ses meetings en 1962, est depuis peu membre de la Nation of Islam, une organisation socio-religieuse qui promeut une version très éloignée et hétérodoxe de l’Islam ainsi qu’un séparatisme assumé entre Blancs -considérés comme des démons- et Noirs.

Au lendemain de sa victoire, Clay, qui craignait de se voir empêché de disputer la ceinture si sa conversion venait à être sue, informe l’Amérique de son adhésion à la Nation et de sa volonté d’être dorénavant appelé Cassius X, considérant le nom Clay comme un symbole de l’esclavage des Noirs.

Quelques jours pus tard, Elijah Muhammad, leader de la NOI et Messager autoproclamé, changera son nom en Muhammad Ali.

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1 Comment

  1. […] socio-religieuse ayant joué un rôle majeur dans les vies de Malcolm X & Mohammed Ali, la Nation of Islam -dont les membres sont plus connus sous le nom de « Black Muslims »- […]

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